Aujourd’hui c’est le 84ème jour de détention de notre poubelle…
Elle est là. Elle dit rien Martine. On l’a appelée Martine du coup. Elle mange un petit papier de bonbon de temps en temps ou un bout de jouet cassé, elle est pas difficile. Ce qu’elle préfère c’est le contenu de l’aspirateur. Poussière, poils et cheveux, on dirait qu’elle respire, ça lui fait un peu d’air, elle aime bien. Elle est tellement sympa, je crois qu’on s’y est attaché depuis tout ce temps qu’on l’a avec nous. Comme une amie du Zéro Déchet finalement. Elle commence à être démodée par contre, elle a toujours le même sac depuis l’année dernière. Gris, triste. Il lui faudrait un sac transparent comme ça on verrait les strates de déchet de l’année, comme une carotte glaciaire. On remonterait le temps de notre quotidien familial.

On était là, tranquille à tailler le bout de gras avec Martine quand on entend hurler dehors. Un attroupement s’est fait devant la maison. Le maire est devant avec un mégaphone. « Libérez Martine ! Libérez la et il ne vous sera fait aucun mal ! ». Merde on s’est fait repérer. Et comment ils connaissent Martine ? On a dû se faire balancer par un voisin… « oui heu, on les voit jamais devant les conteneurs heu, c’est bizarre… ».

Le maire monte au créneau : « on a construit un incinérateur tout neuf ! Un 230 000 tonnes annuelles ! Vous devez nous donner Martine maintenant, on en a besoin ». On est mal, on est mal… Qu’est ce qu’on va lui raconter au maire ? Non, on peut pas, on fait Zéro Déchet, on mange local ? Il va péter un plomb si on lui dit ça, il vient d’investir des millions pour brûler les plastiques achetés chez Leclerc et en faire de l’électricité. OK, on va négocier. « On est d’accord pour vous laisser une partie du contenu de Martine ! » « Quoi ? » i dit. « heuuu les blisters plastiques des pubs de la boite aux lettres ! ». « ok » i dit « mais c’est pas suffisant ! ». Rooo, il veut l’amortir son installation. « Bon, ok on vous donne aussi la boule de noël cassée et les couverts à salade en plastique cassés ». C’est bon, ils se calment dehors. Je crois qu’on vient de marquer des points. On va tenter une sortie. Une main en l’air, l’autre qui tient fermement Martine contre moi. Pas question que je l’abandonne. Je pose mes objets par terre et recule. L’échange se passe en douceur. Ouf on a eu chaud…
Heureusement qu’on lui a pas dit qu’on diffusait un guide chez nos concitoyens pour faire pareil, sinon on aurait perdu Martine c’est sûr…

 

Textes : Jérémie PICHON – Illustrations : Bénédicte MORET